Portrait lequimenerJ’ai eu la chance de rencontrer et de fréquenter Gaston LEQUIMENER au cours de deux longues périodes , dans les années 1970, dans le cadre professionnel du syndicat dont nous étions tous les deux adhérents , et , à partir de la fin de l’année 2000 , lorsque , avec mon épouse nous nous sommes installés à Mesquer pour notre retraite

En 1971 , le Pére Gaston LEQUIMENER est le chef d’établissement de l’externat des enfants nantais. Il est aussi administrateur du Syndicat National des Chefs d’Etablissement d’Enseignement Libre , le SNCEEL. Il sera élu Président de cette organisation syndicale qui regroupe les chefs d’établissement des écoles , colléges et lycées ouverts en vertu des lois garantissant en France la liberté d’enseignement , (aujourd’hui 2000 membres ),et sera réélu et maintenu à la tête de cette organisation nationale pendant 3 mandats consécutifs .Le SNCEEL représente les établissements auprés de l’Institution «  Enseignement Catholique » et auprès du ministère de l’Education nationale et de ses divers niveaux administratifs , académies et rectorats.

A ce poste il va jouer un rôle décisif au plan national .Il s’agit à l’époque d’obtenir la révision du montant alloué par l’Etat aux établissements libres sous contrat, contribution que l’on appelle le »Forfait d’externat », et qui est alors considéré par les établissements et par les parents comme notoirement sous-évalué .Gaston Lequimener mènera ce combat, engagera son établissement , négociera pied à pied et obtiendra gain de cause. Tous les établissements de France et de Navarre , et tous les parents lui doivent une fière chandelle .Il obtiendra aussi de l’Etat le paiement de la formation continue des maitres du privé.

Les mots qui me viennent pour le caractériser dans cette période : conviction rigueur , clarté ,autorité , détermination , efficacité…et ,quand-même , trés impressionnant , un peu froid … pour le petit jeunot que j’étais alors…(il y a plus de 44 ans ).Mais pas de snobisme , pas de pédanterie , ce qu’il a de plus que d’autres , ce n’est pas pour se gonfler , mais pour servir .Et sans vanité :les outils de son père menuisier sont traitées avec le même respect que le œuvres complètes de Platon ; le cahier du petit Gaston en classe de 4 ème ,impeccable à faire pleurer un professeur de collège d’aujourd’hui, contraint de supporter des médiocrités évidentes ,côtoie le portrait du Prélat , en grande tenue , reçu par le Pape lui-même , et lorsqu’il descend les marches du palais de l’Elysée , à l’issue d’une démarche importante , il pense , nous a-t-il confié , à sa maman de Mesquer

En 2000 , Gaston LEQUIMENER est à la retraite . Il a choisi d’y prendre sa retraite   et nous nous retrouvons là . Nous avions fait et aimé le   même métier , participé aux mêmes bagarres ‘,nous partagions les mêmes convictions , nos retrouvailles étaient toutes naturelles et faciles .Mais pas question avec lui de se répandre en nostalgies et de ressasser nos souvenirs d’anciens combattants .Rien à voir avec la retraite paresseuse à laquelle j’aspirais personnellement .Gaston était au travail , et pendant ces quinze années nous ne l’avons pas vu s’arrèter : la Cathédrale de Nantes ,Mesquer , une première fois , un gros livre qu’il faut avoir ,Mesquer une deuxième fois avec sa recherche sur la belle maison du patrimoine ;et puis la recherche ,la réflexion , il faudrait dire la méditation de son dernier ouvrage sur » les prêtres professeurs » .

Ce travail et ce livre c’est lui, c’est lui tout entier, c’est ce qui lui tenait à cœur, en profondeur .Gaston Lequimener est un croyant, un chrétien engagé, et prêtre par-dessus le marché, homme d’Eglise et qui ne dédaignait pas la reconnaissance que l’Eglise lui a faite en lui conférant la Prélature…il aimait bien son titre de Monseigneur. Sans vanité, encore, il y voyait un hommage à sa fidélité, à son engagement, à son travail et aussi à son village : qu’un Mesquérais soit honoré à ce niveau rejaillissait sur Mesquer.

Gaston LEQUIMENER est un homme de culture , un érudit ;sa formation classique ,sa maitrise du latin et du grec qu’il pratiquait ,très à l’aise ,à plus de quatre-vingt dix ans ,sa culture humaniste , sa connaissance des sources et des traditions du Christianisme , des deux mille années de l’histoire   de l’Eglise et de l’énorme production architecturale , artistique , philosophique et littéraire de ces deux millénaires chrétiens .Et cela avec une grande liberté de pensée ,en penseur libre ; « fidèle et libre « .

Gaston Lequimener est un enseignant, pas un prêtre ouvrier, mais un prêtre au travail, dans le monde, dans le siècle comme on disait jadis ; il est un professionnel, enseignant et chef d’établissement, responsable d’un syndicat national. il est passionné d’enseignement et d’éducation ;il exerce en même temps ,dans le même acte , dans le même boulot , son métier de prêtre et son métier de prof.

Gaston LEQUIMENER enfin exerce son ministère et son métier dans une période particulière , ,la deuxième moitié du XXème siècle , et cette période connait d’énormes changements , dans la société , dans l’enseignement ,et dans l’Eglise.

Ce livre difficile qui a pour titre «  christianisme et culture , Un ministère d’Eglise : Prêtre professeur «   , fera date et ceux qui demain …ou après demain , s’intéresseront à cette période et à ses acteurs y trouveront un beau témoignage .La rencontre vécue de la culture et de la foi ,de la tradition et de la pensée juive mises à l’épreuve du langage critique( c’est-à-dire des langages confrontés ) ,.la poésie la philosophie et la mystique , ces trois pistes pour chercher et dire la transcendance , et pour répondre à la question de l’origine et de la destinée de l’Homme , Dieu et les Dieux. C’est le prêtre- professeur qui parle dans ce livre : foi et culture , ne lâcher ni l’une ni l’autre ,et trouver un langage qui ne disqualifie ni l’une ni’l’autre ‘ c’est l’exigence intellectuelle de l’enseignant chez qui se trouvent , dans le même cerveau et dans la même mission la grâce du baptême et l’émerveillement de l’ humanisme .L’esprit critique ,ce n’est pas démolir , c’est démonter ,c’est traquer les confusions ,c’est disqualifier les bavardages et les baratins , c’est débusquer les intérets qui se camouflent dans les propos édifiants , c’est dénoncer les traductions mutilantes ou trompeuses .Et c’est pour Gaston Lequimener , cette rencontre, cette confrontation riche qui est à l’origine de notre culture d’aujourd’hui , et qui est pour lui enseignant, son obligation à transmettre, en résistant   au rinçage culturel qui va couper l’Humanisme de ses racines et au laïcisme réducteur. Et ce travail abordé avec sa rigueur et son imagination de «  littéraire », qui vous reconstruit Alexandrie dans les premiers siècles de notre ére comme il a reconstruit la » Maison du Patrimoine « de son village .

Il aimait à dire (en latin bien sûr ) »bien faire ce qui est à faire « ; le créneau de son histoire de 94 années dans l’histoire des hommes ,utile , propre et bien rangé , tel qu’il nous le livre dans ses archives,propres et bien rangées ; et , plus encore , pour ceux qui l’approchaient , quand on glissait avec lui sur les sujets qui lui tenaient à cœur , et ce n’était pas difficile de le lancer sur ces sujets là , Mesquer , la théologie , la transmission , l’éducation , son ministère , il y avait alors une vraie chaleur , une présence , une amitié qu’il vous donnait .L’ordre chez lui était comme un hommage à la Grâce d’exister… »bien faire ce qui est   à faire » ; la chance de vivre mérite bien   cela ; l’ordre chez ce prêtre , était prière .

Elle va nous manquer la petite lumière tardive, par la fenêtre de son bureau.

Xavier GOARANT , Mesquer ,le 16 décembre 2015